Aquarelle / LIZA

Arméniens et juifs dans les métropoles du Sud-Est européen. Apparition, évolution et génocides, état présent 

Responsables & contacts : Hervé Georgelin (Université d’Athènes) & Odette Varon-Vassard (Musée Juif de Grèce- Institut des Relations Internationales IDIS)

Institutions partenaires :

  • École française d’Athènes (EFA)
  • Université nationale et capodistrienne d’Athènes (EKPA)
  • Institute of International Relations (IDIS)

Arméniens et Juifs étaient partout présents et bien visibles dans la péninsule balkanique jusqu’à la moitié du vingtième siècle. Ils constituaient des éléments fondamentaux de la diversité humaine au sein des empires ottoman et austro-hongrois. Ils constituaient et constituent encore aujourd’hui des populations principalement urbaines. Constantinople, la métropole ottomane, fut une grande ville juive et la capitale culturelle et politique des Arméniens ottomans. La présence sépharade était massive à Salonique, dite Jérusalem des Balkans. La population juive était elle-même multiple, puisqu’elle comprenait aussi des groupes ashkénazes, comme en Roumanie mais aussi à Constantinople, voire des groupes romaniotes, comme à Iôannina. La prédominance démographique des sépharades entraînait toutefois les autres communautés dans des processus d’assimilation culturelle au profit de leur groupe. Des Arméniens étaient installés en Transylvanie et à Plovdiv depuis le Moyen-Âge, puis les réfugiés du génocide de 1915 et des années suivantes affluèrent massivement en Macédoine et en Thrace, après la première guerre mondiale, coupés définitivement de leur ancienne capitale culturelle. 

Les deux groupes constituent aujourd’hui des populations relativement discrètes. Cantonnées à des États-nations construits sur le modèle assimilationniste français, elles pâtirent assurément de la disparition des structures impériales classiques. La crise économique des années 1930 nuisit à toutes les populations mais affaiblit particulièrement les habitants sensiblement différents de la majorité grecque-orthodoxe. Puis la Shoah porta un coup fatal aux juifs de Grèce. La Jérusalem des Balkans fut irrémédiablement détruite. Dans le climat de l’après-guerre, la propagande stalinienne réussit à attirer la moitié des Arméniens de Grèce en URSS. Bien des survivants de la Shoah ne purent concevoir un avenir sur place malgré la reconstruction d’une communauté active, dans certains centres urbains, mais aux effectifs considérablement réduits. La Guerre froide accrut les difficultés de circulation et de contacts pour les deux populations transnationales : les relations diplomatiques avec Israël furent le plus souvent tendues parmi le bloc soviétique et les guerres du Liban entraînèrent la cessation des contacts éducationnels entre Arméniens de Grèce et ceux du Liban, par exemple. Cependant, on n’a jamais autant parlé du 27 janvier, journée internationale du souvenir de la Shoah, que ces dernières années en Grèce. De même, le génocide des Arméniens est commémoré officiellement en Grèce, le 24 avril, depuis 1996. 

Ce champ d’études connaît un renouvellement historiographique important. Le phénomène de diaspora s’est imposé comme sujet de réflexions, par exemple autour de la revue savante Diasporas dirigée par Khatchig Tölölyan. Le premier volume de la revue donnait une légitimité nouvelle à l’intérêt des populations dispersées dont l’existence, loin d’être un accident de l’histoire ou une anomalie à corriger, se banalise à l’heure de la mondialisation. Ce terme avait également constitué un thème majeur des recherches de l’anthropologue, Martine Hovanessian, laquelle insistait sur la spécificité traumatique qui l’amenait à distinguer les diasporas de réseaux transnationaux migratoires. De même, plus récemment, Delphine Horvilleur mettait en exergue les rapports problématiques, dès l’origine abrahamique, des juifs au territoire, comme si le judaïsme impliquait une nécessaire distance originaire puis ré-expérimentée à de nombreuses reprises, voire constamment maintenue pour conserver la plénitude de son sens. Si certains auteurs arméniens développent une forte conscience de leur existence hors de terres dont ils seraient titulaires, la doxa arménienne s’inspire le plus souvent du nationalisme classique donc territorialisé, tel que le cadre soviétique l’a formalisé. La similitude, malgré les différences certaines, entre les deux populations ont frappé certains esprits ; certains points de convergence, comme l’anéantissement total planifié par une puissance étatique subi par les deux groupes, ont donné lieu à des publications essayant de comparer les deux expériences historiques extrêmes.

Les études juives en Grèce sont fécondes et de plus en plus visibles dans l’espace intellectuel non communautaire depuis une vingtaine d’années. Des spécialistes parviennent à institutionnaliser leur savoir ainsi qu’à modifier la perception du passé de la Grèce grâce à leurs publications. Mais le renouvellement dans le champ des études juives-grecques est venu par l’historiographie de la Shoah et du temps de l’après, tant dans le champ des études mémorielles que dans celui du difficile retour des survivants et de leur reconstruction de vies et de communautés après 1945. Au-delà de la Grèce, les juifs des Balkans inspirent de nombreux auteurs. Aux thèses optimistes de TzvetanTodorov La fragilité du bien : le sauvetage des juifs bulgares (1999) vient par exemple de répondre le livre plus tempéré de Nadège Ragaru, Et les Juifs bulgares furent sauvés… (2020).

Les populations arméniennes dispersées dans les Balkans, quand on y inclut l’ancienne Constantinople, demeurent un pôle important de production culturelle et de pratique de la langue arménienne, dans sa version occidentale ou post-ottomane. Les études à leur sujet portent sur les conditions défavorables de persistance d’une présence arménienne dans l’ancienne capitale impériale ottomane à l’heure de l’État-nation turc et sur les processus certains d’intégration dans la société environnante, illustrée par la maîtrise de la langue des pays où l’on se trouve. Le cas grec permet d’ailleurs de cerner le phénomène de l’altérité invisible dont l’étrangeté n’est plus vraiment perçue par le pays dans lequel elle peut persister hors du regard de la majorité. L’existence d’un quotidien en langue arménienne à Athènes et d’une école et d’un collège arménien sur la commune de Nikaia montrent que l’assimilation n’est pas l’unique réalité de la population arménienne de Grèce, par ailleurs discrète.

Trois journées d’études préparatoires donneront lieu à un volume comparant les cas arménien et juif sous l’angle de la longue durée (histoire et origines réelles ou désirées de ces populations dans le Sud-Est européen), des destructions radicales et des processus mémoriels subséquents et enfin des représentations et de la contribution des juifs et des Arméniens à la culture des pays de résidence.


AGENDA:

École Française d’Athènes, 2 et 3 novembre 2023
Arméniens et Juifs : la rupture traumatique des génocides

La deuxième journée d’études du programme de recherche « Arméniens et Juifs dans les métropoles du sud-est européen » est consacrée aux destructions génocidaires qui ont affecté les deux populations selon des chronologies et des processus différents, dans des lieux différents, mais d’une manière qui affecte leur histoire de façon indélébile jusqu’aujourd’hui dans le sud-est européen et bien au-delà.
En particulier, le grand centre arménien ottoman, Constantinople-Istanbul-Պոլիս [Bolis], a été réduit à peau de chagrin démographique, doté encore d’institutions importantes aux noms impressionnants mais dépourvu désormais d’arrière-pays, celui des Arméniens ottomans, rayé de la carte par le Comité Union et Progrès en 1915 et dans les années qui suivirent, lors du Grand Crime / Մեծ Եղեռն [Medz Yeghern] ou de la Catastrophe / Աղէտ [Aghèd], comme les survivants appellèrent ces massacres systématiques.
En regard, dans La Jérusalem des Balkans, Thessalonique-Selânik, la communauté juive n’est plus, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, que l’ombre d’elle-même, « la ville des fantômes » selon l’expression consacrée par Mark Mazower. La communauté salonicienne a connu pendant la Shoah un des taux de mortalité les plus élevés de toute l’Europe occupée par l’Allemagne nazie et ses alliés. La démographie des Juifs des pays voisins occupés connaît un même effondrement. La perception de soi des deux peuples a été marquée à jamais par la violence de ces destructions de masse.


Dr. Odette Varon-Vassard (Musée Juif de Grèce- Institut des Relations Internationales IDIS)
Dr. Hervé Georgelin, Département d’Études Turques et d’Études Asiatiques Contemporaines de l’Université Nationale et Capodistrienne d’Athènes.



École Française d’Athènes, 2 and 3 November 2023
Armenians and Jews: The Traumatic Ruptures of Genocides

The second workshop of our research programme «Armenians and Jews in the metropolises of South-eastern Europe» is devoted to genocide destructions that targeted both populations, according to different processes and in different time frames, in different places, but in a manner that has affected their respective history – and not only – in a similarly indelible way until today in South-eastern Europe and far beyond.
In particular, the large Ottoman Armenian centre, Constantinople-Istanbul-Պոլիս [Bolis], has drastically shrunk. Although the city is still in possession of important institutions with impressive names, it is now deprived of any hinterland, that is the land formerly inhabited by Ottoman Armenians, which was wiped off the map by the Committee Union and Progress in 1915 and subsequent years, during the Great Crime / Մեծ Եղեռն [Medz Yeghern] or the Catastrophe / Աղէտ [Aghèd], as survivors called these systematic massacres.
Some six hundred kilometres westwards, in the former Jerusalem of the Balkan, Salonica-Selânik, the Jewish community is, in the aftermath of the Second World War, a shadow of its former self, «the city of ghosts» as Mark Mazower put it. The Salonica community experienced one of the highest mortality rates due to the Shoah in all Europe under occupation by Nazi Germany and her allies. Jewish demography in occupied neighbouring countries plunged in a similar way. Both peoples’ self-perception has been forever altered by the violence of endured mass destructions.

Odette Varon-Vassard, PhD, Jewish Museum of Greece – Institute for International Relations
Hervé Georgelin, PhD, Departement of Turkish Studies and Contemporary Asian Studies at the National and Capodistrian University of Athens