Chant liturgique à Chypre (XVe-XVIe siècles) : traditions byzantines et pratiques cantorales sous la domination franque et vénitienne

Responsables et contacts : Flora Kritikou (Université d’Athènes) & Vassa Kontouma (EPHE)

Institutions partenaires :

  • École française d’Athènes (EFA)
  • Université nationale et capodistrienne d’Athènes (EKPA)
  • École pratique des hautes études (EPHE)
  • Université de Chypre
  • Sorbonne Université
  • Institut hellénique d’études byzantines et post-byzantines de Venise

En s’appuyant essentiellement sur les sources produites par les différents pouvoirs politiques et religieux qui se sont succédé à Chypre dans les périodes pré-ottomane et ottomane, l’historiographie induit fréquemment l’existence d’« identités religieuses » reposant sur des oppositions binaires telles que « orthodoxes/catholiques », « grecs/latins », etc. Or, ce modèle strictement vertical et descendant, fondé sur les « identités » de pouvoirs tutélaires plutôt que sur le vécu des individus, présuppose une correspondance exacte entre encadrement politique et pratiques religieuses qu’il n’est pas toujours possible de vérifier et dont l’interprétation est sujette à nombre de partis pris idéologiques. Or, il existe un corpus documentaire inexploité du point de vue de l’histoire des religions qui permet d’éviter ces biais et invite à développer une approche différente, détachée des présupposés identitaires induits par une vision « par le haut ». En effet, le répertoire liturgique chypriote produit durant cette période, toujours écrit en grec et noté suivant le système byzantin, se distingue par la coexistence de deux grandes catégories de compositions : la première correspond à la tradition byzantine « classique » utilisée par le patriarcat de Constantinople, tandis que la seconde se distingue clairement de la précédente, suggérant ainsi qu’elle pourrait refléter des usages liturgiques locaux. L’étude de ce dernier corpus offre donc la possibilité d’appréhender une pratique religieuse que les autres sources peinent à documenter. Transmises par de nombreux manuscrits disséminés sur toute la planète, ces compositions chypriotes présentent des particularités qui, après une étude préliminaire, témoignent d’une situation inédite relative à la morphologie et aux techniques de composition, aux textes liturgiques ou paraliturgiques, à la notation et à la modalité. C’est précisément parce que ces compositions ne peuvent être rapprochées de manière univoque à une tradition identifiée qu’elles ont une immense valeur culturelle et constituent des documents hautement informatifs : alors que les institutions religieuses laissent souvent des traces documentaires tangibles (bâtis, règlements, canons, etc.), la pratique religieuse effective des populations reste généralement difficilement accessible. En permettant de mieux comprendre la nature de cette pratique, le répertoire ciblé – jamais étudié en tant que corpus unitaire – confère ainsi au projet une originalité prometteuse.
Pour comprendre la nature de ces particularismes musicaux et mettre en lumière le réseau de pratiques religieuses qui les a générés, le projet prévoit de se pencher également sur différents fonds d’archives susceptibles d’éclairer les pratiques religieuses de l’île et de sa diaspora. Tandis que les sources publiées et analysées jusqu’à ce jour concernent essentiellement leur encadrement politique et ecclésiastique, le projet s’attache à documenter les acteurs de ces pratiques eux-mêmes. Parallèlement à l’analyse et à l’interprétation strictement musicologique du répertoire, seront ainsi traités les testaments et fondations funéraires, les sources relevant de la ritualité publique, les règlements et prescriptions émises par les autorités religieuses et politiques actives à Chypre. Les convergences maintes fois observées à Chypre entre des pratiques religieuses décrites comme latines et grecques, les difficultés posées par l’interprétation des réglementations émises par les pouvoirs francs puis vénitiens et de leur interaction avec les clergés de Chypre et de Constantinople, autant que la complexité de la circulation des individus et des cultures sur l’île, interdisent toute interprétation apriori des particularités musicales du répertoire liturgique pris en considération. Par ailleurs, tandis que l’histoire religieuse de Chypre a essentiellement été documentée du point de vue des pouvoirs régulateurs, l’histoire individuelle de ces pratiques reste très largement lacunaire. Il est donc nécessaire de procéder à l’étude de différents documents et archives témoignant des pratiques locales (fondations funéraires, testaments, règlements ecclésiastiques, fêtes particulières, processions, etc.) conservés dans les archives (Chypre, Jérusalem, Venise, Vatican). En confrontant l’analyse musicologique et la recherche historique, le projet fait intervenir de nombreux spécialistes de disciplines différentes (historiens, musicologues, byzantinistes, informaticiens), ce qui constitue une association assez nouvelle dans ce champ d’études. Par ailleurs, en prenant pour point de départ les interconnexions entre les pratiques religieuses plutôt que leurs identités présupposées, cette approche interdisciplinaire permettra de produire de nouvelles données dans le domaine de la musicologie byzantine en étudiant un répertoire musical peu étudié, de faire converger les approches historiques et musicologiques dans le domaine de la Renaissance et de réinterroger la démarche comparatiste.