Aperçu sur les aspects scientifiques d’une mission militaire
Le fonds Charles Picard (FCP) conservé à l’École française d’Athènes est constitué d’une partie des archives déposées entre 1927 et 1962 à l’Institut d’art et d’archéologie de la Sorbonne par Charles Picard (1883-1965), alors qu’il y occupe une chaire, puis en est le directeur. Parmi les archives transférées à Athènes vers 1995 par Olivier Picard, ancien directeur de l’EFA (1981-1992), se trouvent notamment deux dossiers fournissant une source de renseignements précieux sur les territoires occupés par l’armée française d’Orient (AFO), ainsi que sur une partie de son œuvre qui a fait en ce début d’année l’objet d’une convention entre l’EFA et la Mission du centenaire de la Première Guerre mondiale.
La présence de ces dossiers dans le fonds Picard s’explique par l’implication dans l’AFO de Ch. Picard [fig. 1] , ancien membre (promotion 1909), secrétaire général (1913-1918) puis directeur de l’EFA à partir de 1919. Après avoir tout d’abord été mobilisé en France, il a en effet été affecté en 1916 comme lieutenant à l’état-major de l’Armée d’Orient (2e bureau), puis comme capitaine au 175e régiment d’infanterie, avec lequel il a fait campagne à Florina et à Monastir. Un temps préfet de police à Koritsa, il a ensuite succédé à Jérôme Carcopino à la tête du service des renseignements des Armées alliées d’Orient (1918).
Pendant ces années en service actif sur le front d’Orient, Ch. Picard a réuni un ensemble de notes de lecture, de coupures de presse et de documents figurés relatifs à la Macédoine et à une partie de l’Albanie, et plus particulièrement : Salonique, la Chalcidique, Florina, Edessa, Kastoria, Ochrida, Moscopol, Koritsa. La plupart des documents sont de sa main, mais certains d’entre eux ont été produits par les services de l’Armée d’Orient, comme l’indiquent les cachets qui y sont apposés. L’ensemble fournit du territoire où a œuvré l’AFO entre 1916 et 1919 une description – politique, militaire, économique, ethnologique, urbanistique, mais aussi historique et archéologique – relativement complète. Ch. Picard a réuni des informations concernant des sujets aussi divers que l’agriculture [fig. 2], la répartition de la population par confession, les costumes [fig. 3-4], la géographie du bassin du lac de Prespa, les incendies et tremblements de terre qui ont affecté Koritsa et la région des lacs au XIXe s, ou encore les réseaux routiers et d’eau potable (aqueducs de Salonique, par exemple). Il a également rassemblé des fac-similés d’inscriptions de la Macédoine occidentale, et dressé une liste des villages présentant un intérêt archéologique (monastères, églises, tekkés, châteaux-forts, etc.), des principales découvertes qui y ont été faites, parfois même des légendes associées à ces lieux [fig. 5]. Pour la région de Koritsa toujours, nous sont ainsi parvenus deux croquis, de 1918, de la chapelle d’Agios Germanos, construite en 1003 [fig. 6].
Si Ch. Picard a d’abord constitué ces dossiers dans une optique politico-militaire, suivant en cela les consignes données, aux membres de l’EFA engagés dans l’AFO, par le général Franchet d’Espérey, commandant en chef des armées alliées à Salonique, il les a également alimentés, jusqu’en 1935, dans une perspective scientifique. Il a ainsi répertorié les principaux sites explorés par le service archéologique de l’armée d’Orient, successivement dirigé par Gustave Bayet (1915-1916), Gustave Mendel (1916-1918) et Léon Rey (1918-1919) :
- les soixante-quatre stations protohistoriques reconnues autour de Thessalonique et dans la région de Monastir ;
- les stations préhistoriques, tumuli funéraires ou tables-plateformes plus étendues, comme Gona [fig. 7], Kapoudzilar et Sédès ;
- les sites helléniques et romains (Pella, Olynthe, port de Mikra, Thessalonique, Zeitenlik, Topcik, Kasakli) ;
- et les vestiges de la période paléochrétienne et byzantine, notamment de Thessalonique (basilique de la Vierge Acheiropoietos, rotonde de Saint-Georges fouillée par Ernest Hébrard, membre du service archéologique de l’armée d’Orient, etc.), ville pour laquelle il a reporté sur un plan les principaux endroits fouillés [fig. 8].
On trouve également dans ses dossiers une liste complète des onze caisses de trouvailles issues des fouilles de l’AFO destinées au musée du Louvre [fig. 9], qui complète l’inventaire, aussi conservé dans les archives de l’EFA, dressé sous la responsabilité de L. Rey. Cette liste mentionne entre autres une borne miliaire, un chapiteau et des tambours de colonnes, des fragments d’un lit funéraire, des vases à figures noires, un cratère à figures rouges, deux casques, deux skyphoi, des coupes byzantines et des bijoux. Ses notes et les documents compilés de façon géographico-thématique sont venus nourrir des articles qu’il a publiés sur les recherches archéologiques de l’armée française d’Orient en Macédoine dans l’ Annual of the British School at Athens , ou encore sur les découvertes faites lors de la restauration de l'église Saint-Démétrius à Salonique dans la Revue de l’art ancien et moderne , dont un brouillon se trouve dans les dossiers de Ch. Picard.
SOURCES COMPLÉMENTAIRES CONSERVÉES À l’EFA :
Outre le fonds Charles Picard (cotes FCP 32, dos. 7 et 8), les séries géographiques « Macédoine », « Chalcidique » et « Thrace » contiennent des dossiers relatifs à l’armée française d’Orient. Les papiers Henri Ducoux relatifs aux rénovations des cimetières militaires français Zeitenlik et Korça peuvent également constituer une source intéressante pour qui s’intéresse aux nécropoles de la Première guerre mondiale sur le front d’Orient.