Délos 150 à Lyon : une exposition et un colloque au Musée des Moulages

Pour la célébration du cent-cinquantenaire des fouilles de Délos, le Musée des Moulages de l’université Lumière-Lyon 2 propose une exposition intitulée Embarquement pour Délos : 150 de fouilles dans l’île d’Apollon. Partant du constat que Délos est un site moins connu et moins fréquenté que Delphes ou Olympie, elle se présente comme une invitation au voyage qui débute sur le quai de Mykonos. Bleu profond de la mer, bruit du vent et de l’eau sur l’étrave du Delos Express, parfum des hélichryses d’Italie qui accompagne les promenades, rugosité des pierres ponces ramassées à Fourni, chatoiement des plumes de paon et violet des immortelles, le voyage à Délos est d’abord une expérience sensorielle. Nichée au cœur de la grande halle du musée, l’exposition est aussi un îlot de couleurs, animé par les reproductions en taille réelle des restitutions de Henri-Paul Nénot, des aquarelles d’Albert Gabriel ou des vues rêvées de Camille Lefèvre. Elles servent d’écrin aux six tirages en plâtre de sculptures déliennes acquises par Henri Lechat, professeur d’archéologie classique et conservateur du musée entre 1899 et 1925. Parmi eux figure un moulage du Diadumène, fabriqué dans l’atelier même de l’École française d’Athènes et offert par Théophile Homolle à son camarade Lechat en 1902. Réalisé avant la restauration du nez de la statue originale, il rappelle l’intérêt documentaire et historique du tirage en plâtre qui n’est pas qu’un humble fac simile d’un original prestigieux, mais qui permet la comparaison et la critique des copies.

Grâce au soutien de l’université et de la direction Sciences et Société, le musée a pu faire réaliser pour l’occasion deux pièces qui enrichissent désormais sa collection. La première est un plan-relief de Délos, réalisé au 1/3000 par l’atelier Ducaroy-Grange de Villeurbanne et où figurent les grandes masses des vestiges découverts, ainsi que les constructions modernes. Il permet aux visiteurs de comprendre la topographie de l’île, son relief et les rapports entre la ville et la campagne. La seconde pièce est la reproduction de la Korè Nikandrè en impression 3D avec une patine qui reprend l’aspect de la pierre, effectuée par l’atelier CHMaquettiste de Châlon-sur-Saône. Outre qu’elles ouvrent des perspectives de collaboration avec des entreprises locales, ces deux réalisations nous permettent d’envisager de nouvelles modalités d’acquisition pour le musée et d’enseignement de l’art et de l’archéologie par les objets et les copies didactiques. Aujourd’hui que dominent les images et les écrans, le retour à la matérialité des œuvres et à l’observation de leurs volumes est devenu, pédagogiquement, absolument indispensable.

En complément de photographies et aquarelles issues des archives de l’EFA, des archives familiales Courby ou du Fonds Albert Gabriel, l’exposition présente également des documents inédits ou méconnus, comme le croquis de Délos vue de Rhénée fait par William Gell en 1805-1810 et conservé à la British School at Athens ou encore des dessins de Haller von Hallerstein réalisés à la même époque et conservés à la BNU de Strasbourg. Enfin, un prêt de la Bibliothèque de l’Institut de France nous permet d’exposer pour la première fois une exceptionnelle copie en bronze de la Tête de la Palestre, offerte à l’Institut en 1913 par Joseph Florimond, duc de Loubat et membre étranger de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres. Issue de l’atelier du fondeur Claude Valsuani qui réalisera notamment des fontes de Rodin, elle est d’une facture et d’une qualité tout à fait remarquables.

Conformément à la stratégie du MuMo, nous visons un public varié et large, depuis les étudiants spécialisés en histoire de l’art et archéologie, jusqu’au public novice, mais curieux, en passant par les praticiens du dessin, les scolaires, les associations ou les publics en situation de handicap. Nous privilégions ainsi les visites guidées par nos médiateurs étudiants, mais la visite libre est possible, accompagnée par un livret-guide. La variété des documents présentés permet ainsi de faire connaître au public un site majeur de l’Antiquité où les fouilles françaises se sont illustrées sur le temps long. Elle montre aussi la cohérence de cette politique scientifique et sa continuité aujourd’hui, notamment dans la formation des étudiants. Enfin, en replaçant les œuvres dans leur environnement naturel et bâti, grâce aux cartes, dessins, restitutions et photographies, l’exposition fait découvrir une Antiquité vivante et colorée, ainsi qu’une île somptueuse par ses paysages et ses couleurs.

Et comme le goût des belles choses s’apprend dès l’enfance et s’entretient tout au long de la vie, de nombreuses activités sont proposées pour tous les âges : venez fabriquer votre maquette de maison délienne ou réaliser votre silhouette, à la manière des illustres déliens qui ornent la bibliothèque de la maison de fouilles ! Faites-vous photographier avec le béret à pompon d’Albert Gabriel ou la casquette de marin de Henri Convert ! Menez l’enquête pour savoir qui a volé la barbe de Joseph Chamonard ! Découvrez le petit peuple des ruines, de l’impressionnant lézard krokodilos à la vipère cornue, en passant par les innombrables chats et le petit âne gris. Et terminez votre visite en rêvant dans un transat devant les films réalisés au drone par Lionel Fadin, topographe de l’EFA. L’apéritif n’est pas fourni, mais l’ambiance est là…

La célébration du cent-cinquantenaire se terminera par un colloque international qui se tiendra à Lyon, sur le campus des Quais et au Musée des Moulages du 21 au 23 mars 2024. La commémoration du début des fouilles ne se veut ni un bilan figé des réalisations de nos prédécesseurs, ni un catalogue des projets en cours. L’objectif de ce colloque est plutôt d’analyser les trajectoires des Français et des Grecs qui ont travaillé à Délos, leur origine, leur carrière scientifique et professionnelle, le renouvellement des méthodes et des outils de l’archéologie que les recherches illustrent, ainsi que la transformation progressive des enjeux et des questionnements que les sciences historiques soulèvent en Méditerranée. Si Délos a longtemps fait figure d’exception, elle y trouve aujourd’hui une place connectée à d’autres sites majeurs de l’Antiquité dont la redécouverte est plus récente. À l’heure où se développent de nouvelles techniques qui nous permettent de changer d’échelle et de perspective, l’analyse rétrospective des problématiques et des démarches de l’archéologie à Délos peut orienter les recherches futures et s’inscrire dans une « histoire de l’archéologie délienne » que Philippe Bruneau appelait déjà de ses vœux en 1978[1].

Trois axes ont ainsi été définis pour accompagner les travaux du colloque. Le premier axe traite de l’histoire sociale et des réseaux professionnels et informels mis en place par les « Déliens » ; le second analyse l’évolution des modèles théoriques, des méthodes et des techniques mis en œuvre dans les recherches jusqu’à aujourd’hui ; le troisième s’intéresse à l’histoire de Délos après son abandon, de sa fréquentation à sa spoliation, de sa réception à l’utilisation de son image et de son nom dans les arts visuels et la littérature. Le programme, actuellement en cours de finalisation, montre d’ores et déjà que la communauté des Déliens est plus large que celle qui fréquente l’île régulièrement et il faut se réjouir de cette promesse de renouvellement de nos études qui font désormais une place importante aux archives, à de nouveaux moyens d’acquisition des données, ainsi qu’aux modalités de diffusion et de valorisation de la recherche. Sur le modèle des « journées déliennes », mais dans un format exceptionnellement plus développé, le colloque sera ainsi une nouvelle occasion d’illustrer l’existence d’une communauté scientifique délienne.


0[1] Ph. Bruneau, « Deliaca II », BCH 102 (1978), p. 166-171.