Argumentaire et objectifs du colloque

En 2023, nous célébrons le cent cinquantenaire des fouilles de Délos, entamées en 1873 par l’École française d’Athènes, dont le directeur, Émile Burnouf, envoya Albert Lebègue entreprendre les premiers dégagements. Jusqu’à la première guerre mondiale, sous l’impulsion de Théophile Homolle puis Maurice Holleaux, les fouilles se développent avec une ampleur considérable, révélant à la fois les espaces du sanctuaire de l’Apollon délien, l’organisation des espaces publics, les aménagements des contreforts du Cynthe, de grandes maisons d’habitation et leur décor, les infrastructures portuaires et un riche corpus épigraphique. Accompagnées d’une entreprise systématique de relevés, de dessins et de photographies, les recherches à Délos sont diffusées par des images, des tirages en plâtres, de très nombreux articles et par une série monographique : l’Exploration archéologique de Délos. Cent cinquante ans plus tard, la commémoration du début des fouilles ne se veut ni un bilan figé des réalisations de nos illustres prédécesseurs, ni un catalogue des projets en cours. L’objectif de ce colloque est plutôt d’analyser, sur le temps long, la sociologie des Français et des Grecs qui ont travaillé à Délos, l’évolution des méthodes et des outils de l’archéologie mis en œuvre dans la recherche délienne, ainsi que la transformation progressive des enjeux et des questionnements que les sciences historiques soulèvent en Méditerranée. Si Délos a longtemps fait figure d’exception, elle y trouve aujourd’hui une place connectée à d’autres sites majeurs de l’Antiquité dont la redécouverte est plus récente. À l’heure où se développent de nouvelles techniques qui nous permettent de changer d’échelle et de perspective, l’analyse rétrospective des problématiques et des démarches de l’archéologie à Délos peut orienter les recherches futures et s’inscrire dans une « histoire de l’archéologie délienne » que Philippe Bruneau appelait déjà de ses vœux en 1978 ([1] Ph. Bruneau, « Deliaca II », BCH 102 (1978), p. 166-171).

Appel à communications

Trois axes ont été définis pour orienter les travaux du colloque. Le premier traitera de la sociologie délienne et de son histoire sociale ; le second analysera l’évolution des modèles théoriques, des méthodes et des outils mis en œuvre dans les recherches jusqu’à aujourd’hui ; le troisième s’intéressera à l’histoire de Délos après son abandon, de sa fréquentation à sa spoliation, de sa réception à l’utilisation de son image et de son nom dans les arts visuels et la littérature.

Axe 1 | Sacrés déliens !

L’histoire de l’archéologie délienne est d’abord une histoire humaine, celle des premiers explorateurs de l’île, celle de réseaux progressivement tissés au plan personnel comme au plan institutionnel, jusqu’à créer une communauté scientifique de « Déliens », celle des directeurs successifs de l’EfA qui ont œuvré avec énergie au développement des recherches sur un rocher aride, isolé au milieu des Cyclades et où toute mission est toujours un peu plus difficile qu’ailleurs. Parmi eux, certaines personnalités se sont rapidement démarquées par leur force de caractère, l’importance de leur contribution aux recherches déliennes ou leur investissement méthodologique. Mais ces « grandes figures » ne sont pas toutes également connues ; elles masquent aussi parfois des personnalités plus discrètes que l’on peut percevoir à travers les archives.

On pourra étudier notamment la sociologie de certains Déliens – archéologues, architectes, dessinateurs et ingénieurs –, leurs origines et leurs trajectoires, les réseaux privilégiés que certains d’entre eux ont créés, ainsi que la place des femmes, non seulement dans la recherche délienne elle-même, mais aussi dans la constitution et la valorisation des savoirs par le biais du dessin ou de la photographie.  Une autre piste à creuser est celle des liens noués entre Français et Grecs autour de l’exploration archéologique. On s’intéressera par exemple au rôle joué dès le départ par le Service archéologique grec et son représentant Panayotis Stamatakis, jusqu’à l’éphorie actuelle, à l’importance des Mykoniates dans le recrutement des ouvriers, le ravitaillement, le transport et le logement. Et parce que la recherche archéologique est toujours affaire de financements, on portera aussi une attention toute particulière au développement du mécénat, depuis le Duc de Loubat jusqu’aux fondations internationales aujourd’hui très présentes.

Axe 2 | Élaborer et diffuser les connaissances sur Délos : méthodes, outils, enjeux

Depuis les voyageurs jusqu’à aujourd’hui, les connaissances sur Délos ont été élaborées et diffusées grâce à une grande variété d’outils et sur une multitude de supports. Du croquis à la photogrammétrie, de la photographie à la modélisation, du tirage en plâtre à l’imagerie numérique, de la fiche papier à la base de données, cet axe du colloque propose d’étudier et d’évaluer les modes de production et de diffusion de la documentation délienne. En corollaire de cette thématique, il s’agira également de rendre compte de l’investissement théorique et méthodologique qui fut celui de certains Déliens par le passé et qui sous-tend le choix des outils et des techniques aujourd’hui. L’évolution des outils d’observation et d’analyse, ainsi que le développement des collaborations avec les sciences de la nature, méritent que l’on définisse de nouveaux enjeux scientifiques, à l’échelle d’un édifice, d’un quartier ou de l’île tout entière, de la découverte à la restitution et à la restauration. C’est aussi dans cette perspective méthodologique, susceptible d’intéresser toutes les aires chrono-géographiques de l’archéologie, que les communications pourront porter sur des recherches en cours.

Axe 3 | De la Délos antique à la Délos contemporaine : études et réception

Quoique l’île n’ait plus connu d’occupation pérenne depuis la période protobyzantine, elle n’est pourtant pas exempte d’activités humaines aux époques médiévale, moderne et contemporaine. Les archives conservées, les ruines de bergeries et de fermes, ainsi que les études récentes menées sur les carrières montrent en effet que son territoire a été exploité jusqu’au XX^e siècle. Dans ce troisième axe, l’objectif est d’éclairer certains aspects de la vie délienne après l’abandon de son centre urbain, en s’intéressant par exemple à l’histoire et à l’évolution de la maison de fouilles, à la transformation de la vie quotidienne à Délos, sans cesse renouvelée par les progrès techniques et l’engagement de son personnel, à la manière dont les ruines antiques ont alimenté les constructions modernes, ou aux modalités de la transmission intergénérationnelle des dossiers déliens, de la mémoire et des traditions propres au site.

Une autre thématique concernera la mémoire de Délos dans la littérature et les arts visuels. De Nicolas Boileau à Marcel Proust, de Claude Lorrain à Barbara Hepworth, du roman policier à la publicité, Délos a subsisté dans la mémoire collective, comme référence ou inspiration, parfois comme simple nom exotique aux sonorités grecques. Elle subsiste aussi dans les innombrables dessins réalisés en parcourant ses ruines par les voyageurs, les artistes renommés, ou les Déliens eux-mêmes. L’analyse de ces images littéraires et visuelles, de leurs résonnances et de leurs connotations, permettra de renforcer le lien entre le site antique et l’île contemporaine, en ouvrant le dialogue avec d’autres spécialités des sciences humaines.

Organisation de la rencontre

Les communications seront présentées de préférence en français ou en anglais. Elles seront publiées dans un supplément du Bulletin de Correspondance Hellénique.

Les manuscrits seront attendus pour le 30 septembre 2024.

Les propositions de communication doivent être adressées avant le 30 septembre 2023 à l’adresse suivante : colloquedelos2024@gmail.com. Elles devront être accompagnées du nom et des coordonnées des auteurs, du titre et d’un résumé de 2 500 à 3 000 signes, intégrant quelques repères bibliographiques et un résumé de quelques lignes en anglais. Les communications seront calibrées pour une durée de 25 minutes.

Le colloque est programmé sur trois jours. Il comprendra une visite de l’exposition du Musée des Moulages, Embarquement pour Délos : 150 ans de fouilles dans l’île d’Apollon proposée le jeudi matin 21 mars 2024, ainsi qu’une visite de l’exposition Les formes de la ruine au Musée des Beaux-Arts de Lyon le samedi 23 mars 2024 après-midi.